Elizabeth Jane Cochrane, dite Nellie Bly, née le à Cochran's Mills dans le Comté d'Armstrong (Pennsylvanie) et morte le à New York, est une journaliste américaine, pionnière du reportage clandestin, une forme de journalisme d'investigation. Elle est la première femme à avoir réalisé un tour du monde sans être accompagnée par un homme.
Nellie Bly perd son père, juge, à l'âge de 6 ans. Il avait épousé sa mère Mary Jane en secondes noces[1]. Destinée à devenir demoiselle de compagnie ou gouvernante, Nellie se refuse à ce destin et commence à écrire des poèmes et des récits à 16 ans. En 1880, elle part pour Pittsburgh chercher du travail.
En réaction à une rubrique sexiste du journal Pittsburgh Dispatch (« Ce à quoi sont bonnes les jeunes filles »), elle écrit au rédacteur en chef George Madden une lettre fielleuse signée « L’orpheline solitaire ». Cette lettre, incisive et particulièrement bien tournée, incite Madden à lui offrir un poste au journal si elle lui offre un article qui lui plaît. Quelques jours plus tard, elle lui amène un article consacré à la famille, au divorce et aux enfants[2]. Elle est alors engagée et Madden lui donne son pseudonyme, Nellie Bly, d'après une chanson très connue de Stephen Foster, pour protéger sa famille des critiques.
Le premier reportage qui lui est confié, en 1880, concerne une fabrique de conserves. Elle raconte alors la vie des ouvrières et leurs conditions de travail très difficiles, dans le froid, la saleté et le danger. Ce premier reportage, accompagné de photographies, fait exploser les ventes du Pittsburgh Dispatch[3]. Elle a alors rapidement le libre choix de ses articles et se concentre essentiellement sur les conditions de vie du monde ouvrier. Malheureusement, les industriels commencent à mettre sous pression le journal. Madden demande donc à Nellie Bly de ne plus s'occuper que des rubriques théâtrales et artistiques. Mais elle finit par le convaincre de revenir à son thème de prédilection, le monde ouvrier. Elle se fait alors embaucher dans une tréfilerie pour écrire un article « de l'intérieur ». Ce sera le premier reportage du genre, prémices du journalisme d'immersion et d'investigation. Le reportage fait sensation mais Nellie est forcée par les industriels à revenir aux rubriques théâtrales.
En 1886, elle part en voyage avec sa mère au Mexique et visite El Paso, Mexico, Guadalupe et Veracruz fournissant au journal des articles sur les mœurs et coutumes, la vie culturelle et artistique, la politique du pays. Elle note aussi précisément que possible ses observations car elle découvre surtout que les américains ont une image très faussée des Mexicains mais en plus de la vie quotidienne et de la culture, elle fait également une description assez drastique des moeurs publiques [4]. Elle se fait expulser du Mexique. Elle en tire son premier livre, Six months in Mexico (1888), dédié à Madden.
Elle quitte le Dispatch en 1887 et se rend à New York (mai 1887), où elle pose sa candidature au New York Tribune, au New York Times et surtout au journal à sensation, le New York World de Joseph Pulitzer, qui la recrute après qu'elle eut semé le trouble dans les locaux[5]. Pulitzer lui promet alors un contrat si elle parvient à s'infiltrer dans un asile. Elle accepte. Sa première tâche consiste ainsi à écrire un article au sujet d'un asile de fous pour femmes, le Blackwells Island Hospital à Roosevelt Island. Elle se fait passer pour malade et s'invente des problèmes psychiatriques afin d'y être internée. Après une nuit d'entraînement, l’illusion est parfaite : tous les médecins la déclarent folle et se prononcent pour son internement. Elle reste dix jours dans l'hôpital. Le reportage fait la une de toute la presse et fait scandale en dévoilant les conditions épouvantables des patientes et les horreurs des méthodes utilisées (nourriture avariée, eau souillée, bâtiments infestés). Il amènera un changement radical des pratiques. Elle publie son aventure sous le pseudonyme de L. Munro : Ten Days in a Mad-House (1887). Ce mode de journalisme, le reportage clandestin, devient sa spécialité.
En 1887, John Cockerill, administrateur du New York World, lui demande d'écrire un article sur Edward Phelps. Elle se déguise et entre dans l'entourage du trafiquant. Phelps et plusieurs hommes politiques sont traduits en justice après le reportage, mais aucun ne sera condamné.
En novembre 1889, Jules Chambers lui demande d'entreprendre un tour du monde sur les traces de Phileas Fogg, idée qu'elle avait émise à l'automne précédent[6].
En 1888, il lui vient l'idée de faire le tour du globe pour battre Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne. Mais le financier du New York World, George W. Turner, refuse de la soutenir, estimant qu'une femme est incapable d'un tel périple. Ce n'est donc qu'un an plus tard qu'elle entame son voyage[7] de 40 070 kilomètres à Hoboken, New Jersey, le , à 9 heures 40 pour le terminer le . Ce voyage aura duré exactement 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes, le record de l'époque, battu quelques mois plus tard par l'excentrique George Francis Train.
Nellie Bly embarque ainsi à bord de l’Augusta Victoria de la Hamburg American Steamship Line, au port de Hoboken. Elle arrive à Southampton le 20 novembre où elle est accueillie par le correspondant du New York World, Tracey Graves. Elle apprend de lui qu'une rencontre organisée par Robert Sherard, journaliste du New York World à Paris, est prévue avec Jules Verne à Amiens. Elle arrive en gare d'Amiens le 22 novembre à 16 heures et est accueillie avec enthousiasme par le célèbre écrivain accompagné de sa femme Honorine et de Sherard comme interprète. Jules Verne la trouve jeune, jolie, mince comme une allumette et d'une physionomie enfantine[8]. Elle est reçue dans le bureau de Jules Verne et rejoint rapidement son train de retour. Elle atteint Calais de justesse et prend le train pour Brindisi. Après Suez, elle traverse la mer Rouge et arrive à Colombo le 14 décembre. Le 18 décembre, elle est à Singapour où elle achète un petit singe. Les articles qu'elle envoie sur les lieux traversés obtiennent un succès prodigieux. Elle y étudie les mœurs et coutumes mais aussi l'extrême pauvreté rencontrée. Des paris, comme pour le voyage de Phileas Fogg, sont ouverts aux États-Unis. À Hong Kong, Nellie Bly apprend qu'une autre journaliste, Elisabeth Bisland, a été envoyée par le Cosmopolitan Magazine pour la battre[9]. Le 3 janvier 1890, elle arrive à Yokohama où elle peut lire son interview avec Jules Verne, en japonais[10] et le 7 janvier embarque sur le rapide vapeur Oceanic de la White Star Line pour rejoindre San Francisco le 20 janvier. Pulitzer affrète ensuite des trains spéciaux pour son retour à travers les États-Unis. Elle arrive en gare de Jersey City le 25 janvier 1890 à 15 heures 51 après un périple de 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes. Ses premiers mots sont : « Je suis contente d'être de retour à la maison » (I am glad to be home again)[11]. Le jour même, Jules Verne reçoit une dépêche pour l'informer de la réussite du voyage. Il répond dans l'Écho de la Somme[12] :
— Jules Verne[13]
Elle devient la première femme à faire le tour du monde sans être accompagnée par un homme, une aventure qu'elle raconte dans le livre, devenu un classique de la littérature journalistique, Le Tour du monde en 72 jours[14].
Le 5 avril 1895, elle épouse le millionnaire Robert Seaman, rencontré lors d'une réception à Chicago, et s'éloigne du journalisme. Après la mort de son mari en 1904, elle prend la direction de sa fabrique de bidons métalliques pour le lait. Elle fait breveter le bidon de 55 gallons utilisé pour transporter le pétrole et instaure de nombreuses réformes (salaire journalier, investissement dans des centres de loisirs, des bibliothèques pour les ouvriers, etc.). Désavouée au sein même de l'entreprise, elle doit vendre les usines en février 1914.
Poursuivie par les créanciers, elle retourne au Royaume-Uni et prend contact avec le New York Evening Journal pour devenir correspondante de guerre lors de la Première Guerre mondiale, articles qu'elle republie sous le nom de Nellie Bly qu'elle avait abandonné au moment de son mariage. Après la guerre, de retour à New York, elle reprend ses articles sur le monde ouvrier, sur l'enfance et œuvre pour le droit de vote des femmes.
À l'âge de 57 ans, elle meurt le 27 janvier 1922 d'une pneumonie au Saint Mark Hospital de New York. Elle est inhumée au cimetière de Woodlawn dans le Bronx. Le lendemain de sa mort paraît un article sur la meilleure journaliste d'Amérique[15].