La fille surexposée

« Il tire la carte, lit dans le liseré blanc : "Femme mauresque - Khadidja la marocaine". Et il lui colle toutes les images fabriquées par les gars de la chambrée, les plis du ventre, le sexe imberbe, le triangle inversé des cuisses quand le vagin descend sur la bouteille. C'est la fille qu'a décrit Mougeot, la fille du Bousbir que tu paies et qui te fait jouir avant que tu la touches. Il sort les dirhams de sa poche, il achète le souvenir avant l'expérience, et le marchand lui rend la monnaie avec un sourire. »
Khadidja la Marocaine est une de ces « mauresques » dénudées, photographiées dans l'Afrique du Nord coloniale pour exciter les fantasmes occidentaux. Une fille au corps surexposé dont l'image imprimée à des milliers d'exemplaires voyage à travers le siècle, du photographe au soldat français qui l'achète, à l'ami qui reçoit la carte postale et la range dans une boîte à souvenirs, à la petite-fille du soldat après sa mort. Un jour, un peintre du Maroc contemporain, Miloudi Nouiga, exhume les portraits de ces filles et les balafre de couleurs pour en rappeler la mémoire. Un geste inouï, nécessaire, dont Valentine Goby s'est inspirée, pour écrire le roman des prostituées oubliées du quartier réservé du Bousbir, à Casablanca.